Le monde de Shawei

En 1995, les tirs tendus de flash-ball étaient déjà une pratique courante en France, personne ne nous croyait lorsqu'on témoignait de cela... Je me souviens d'avoir interviewé lors d'une enquête un jeune manifestant dont le visage avait été défiguré... il était sorti de son coma dans un hôpital militaire plusieurs semaines après avoir reçu un tir tendu en plein visage lors d'une des émeutes nantaises du printemps 1995. Je possède encore le rapport de la ligue des droits de l'homme sur ces événements. Déjà en 1995, des "anciens" me disaient que ce n'était pas nouveau... et que par le passé cela avait déjà eu lieu... La violence étatique en France lors d'émeutes est une ancienne pratique née de notre histoire révolutionnaire. Je me souviens de mon professeur de sociologie qui m'avait dit que la participation des étudiants aux émeutes était la meilleure école pour comprendre ce que signifiait la notion d'Etat, non pas comme un concept abstrait mais comme une réalité bien concrète... "L'Etat, le plus froid des monstres froid", disait Nieztsche. C'est cette prise de conscience qui m'a décidé à partir vivre dans d'autres pays, aux Etats-Unis en 1998 puis en Chine en 1999... afin de comprendre comment on vivait dans des pays qui ne prétendaient pas défendre les droits de l'homme. J'ai donc bien sûr mis beaucoup d’eau dans mon vin par rapport à ma révolte de jeunesse en réalisant qu'en France on gardait un droit fondamental de s'opposer aux mauvaises décisions du gouvernement. Mais ce que je constate aujourd'hui loin de la France, c'est que la répression étatique est toujours la même, peu importe la politique du gouvernement. Quant on voit tous ces blessés chaque samedi depuis un mois, je me dis que "la leçon de sociologie de l'Etat" coûte bien chère à certains individus et n'en vaut pas la peine. Mon grand-père me répétait toujours qu'on ne pouvait changer les choses que par la politique. J'ajouterai l'éducation. Peut-être serait-il temps que les gilets jaunes se préparent aux prochaines élections européennes plutôt que sacrifier des vies dans la rue car l'existence ne sera-t-elle pas d'autant plus dure avec un œil en moins ou un visage défiguré, sans parler des morts que le mouvement a déjà causées ? Nous avons une constitution et une République qu'il faut faire fonctionner soit en les modifiant soit en en créant de nouvelles par le combat politique, pas le combat de rue qui mène à une impasse démocratique ou un cercle vicieux de la violence.