Le monde de Shawei

Calvet et Moustaki

Le professeur Louis-Jean Calvet, à qui je dois d'avoir pu reprendre des études à Aix-en-Provence en 2004 et que j'ai invité en Chine en 2008 et 2012 pour des conférences, m'a toujours apparu comme authentique, pudique et humain. C'est un homme d'amitié et le texte qu'il a publié sur son blog ce 23 mai 2013 pour la disparition de son ami Georges Moustaki me touche profondément. Voici cet hommage vibrant à un ami disparu :

 

Jo,

Je ne sais pas si tu aurais aimé que je m’exprime, mais depuis ce matin le téléphone n’arrête pas de sonner, journaux, radios, télés, et c’est la même chose pour Sophie, pour Marc, pour d’autres encore je suppose. Jusqu’ici j’ai tout refusé.

 

De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens d’octobre 1963 ? Piaf mourait à Grasse et le lendemain Jean Cocteau la suivait. Tu viens de mourir à Nice, quelques heures après  Henri Dutilleux, ton voisin de l’île Saint-Louis avec qui tu avais, dans la rue, de longues discussions sur la théorie musicale.

 

De quoi veulent-ils que je parle? De ta délicatesse ? Il y a deux mois tu me tenais la main, silencieusement, alors que je venais d’enterrer ma mère. Et il y a exactement une semaine, jour pour jour, alors que je partais pour un aller-retour de travail aux îles du Cap-Vert tu m’écrivais : « Prends bien soin de toi ».

 

De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens de ce jour où, rentrant du Brésil, je t’avais dit qu’on y chantait Joseph dans les églises et que nous en avions bien ri ?

 

De quoi veulent-ils que je parle? Tout à l’heure, dans le métro, un accordéoniste roumain jouait (mal) La Vie en rose et je lui ai donné un peu d’argent de ta part. En fait j’allais à Europe 1, pour une émission consacrée à ma biographie de Ferré et, bien entendu, nous n’avons parlé que de toi. Tu te souviens de cette soirée, alors que Léo t’avait écouté chanter et qu’il te disait : « au fond tu murmures ce que je hurle » ?

 

De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens de nos promenades dans les rues d’Alexandrie, lorsque tu me racontais tes souvenirs d’enfance et d’adolescence, l’odeur du calfatage sur le port, le jus de canne à sucre que nous buvions, les loubias au cumin, et les cailles dans le souk d’Attarine, chez Malik es smen ?

 

De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens de ces plateaux d’oursins que nous dévorions chez toi, dans l’île ? Des huîtres qu’ouvraient les membres du club des babas au rhum ? De nos repas chez Mavrommatis, et du vin blanc de Jean-Louis Trintignant que nous avons bu à Noël dernier ?

 

De quoi veulent-ils que je parle? De cette fille qui a vingt ans, des eaux de mars, de ta liberté et de ta solitude, d’eden blues, du facteur qui ne passera plus, du temps de vivre ? De ce jardin qu’on appelait la terre, de Sarah, sans la nommer ? Il est trop tard, bye bye Bahia.

 

De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens, le 17 février dernier, ton interview dans Nice Matin d’avant Tapie : « J'ai envie de vivre ce qui peut encore se présenter ».

 

De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens que nous faisions des concours pour savoir qui de nous deux connaissait le plus de pays et que nous avions conclu, diplomatiquement, que nous étions à égalité ?

 

De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens, lors de nos discussions, de tes clins d’œil avec Claude, lorsque ça t’arrangeait de faire croire que j’étais de mauvaise foi ?

 

De quoi veulent-ils que je parle? Tiens, je vais parler de la Méditerranée, que tu résumes dans tes prénoms. Tes parents t’avaient baptisé Giuseppe, ton vrai prénom puisque vous parliez italien à la maison. La sage-femme t’avait déclaré à l’état civil égyptien en le traduisant en arabe, Youssef. A l’école française on l’avait traduit en français, Joseph. Devenu Jo pour les intimes, et devenu Georges en France. Tes prénoms, comme les langues que tu parlais, étaient un condensé de ce continent liquide, notre mer, notre mère. Il y a un bel été qui ne craint pas l’automne en Méditerranée.

 

De quoi veulent-ils que je parle?

Tu es parti ce matin au soleil levant. Alors bon vent, Ciao, salut, adios, adio, saudade, salam, shalom…

 

 

 

Belle amitié entre Calvet et Moustaki qui fait écho avec des propos que j'ai découverts ces jours-ci du Jésuite Matteo Ricci écrivant en chinois dans son traité de l'amitié ceci :  

 

" Celui qui est mon ami n'est pas un autre, il est la moitié de moi, il est comme un second moi ; ainsi je regarde mon ami comme je me regarde. Bien qu'ayant deux corps distincts, mon ami et moi n'avons qu'un seul coeur à l'intérieur de ces deux corps. S'entraider et se soutenir sont les raisons pour nouer une amitié. "

 

Chanson " le métèque " : 

 

 



25/05/2013
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