Le monde de Shawei

Inoubliable Macao

Retourner à Macao quand on y a déjà vécu c’est comme retrouver un vieil ami qui nous rappelle des souvenirs mais qui ne nous promet plus aucun avenir. D’ailleurs quand on vit à Macao, l’erreur est de croire en un avenir car on semble toujours y être enfermé dans un présent qui se tourne vers le passé. C’est précisément le charme de Macao que de nous plonger dans une rêvasserie nostalgique à la manière du sentiment complexe portugais dénommé de façon intraduisible « saudade ». Car Macao change très peu en comparaison avec les autres villes chinoises. Les touristes y affluent toujours en masse (l’épidémie est désormais bien loin), il est toujours aussi difficile de trouver un taxi, il est encore utile d’avoir du liquide sur soi (en Chine continentale, le moindre paiement est numérique) et bien sûr les roulettes des casinos ne cessent jamais de tourner ! On y retrouve un monument, une place, une rue, un arbre, un plat, un restaurant ou un café qui sont toujours là à chaque fois que l’on repasse. Ainsi ce café où j’avais l’habitude de prendre mon petit-déjeuner avant de me rendre à l’Alliance Française deux rues plus loin : il s’agissait d’un sandwich grillé aux œufs et au fromage accompagné d’un savoureux café noir comme on en boit nulle part ailleurs en Chine, hérité des siècles portugais. Après les années Covid, je me demandais bien si le vieux couple tenait toujours le café. Lorsque je suis passé cet après-midi, le vieil homme qui me préparait le sandwich et le café était bien toujours là. Je ne parviens pas à lui donner un âge mais l’absence de sa femme me fait penser qu’il lui a survécu dans ce bas-monde. Un jeune couple la remplace, j’imagine que la jeune femme présente doit être la fille qui accompagne désormais son vieux père. Le vieil homme me regarde et ses yeux ne trompent pas, ils me reconnaissent. Mais à Macao l’obstacle de la langue est bien plus fort qu’en Chine continentale. Le cantonais est une langue identitaire n’invitant pas l’étranger à la partager. Ce n’est pas la langue commune de la Chine (pu tong hua) que par un malentendu historique on nomme mandarin. En Chine continentale, la simple prononciation d’un « nihao » par un étranger est récompensée par un accueil chaleureux poussant à approfondir l’échange. Quand je repasse à Qingzhou dans le Shandong dans un lieu où on me reconnaît, même après plusieurs années, j’entends une phrase engageante du genre « ah te voila de retour ». Rien de tel avec la population locale de Macao qui conserve toujours une distance avec l’étranger qui n’est pas seulement linguistique mais tout aussi pudique qu’existentielle. Une façon de s’affirmer dans le silence de l’histoire de cet ancien comptoir portugais. Et pourtant je sais qu’aujourd’hui le vieil homme de Macao m’a reconnu. Il m’a servi et dit aurevoir comme si je n’étais jamais parti de Macao. C’est ainsi à Macao, il y a toujours un souvenir qui nous tient, nous retient, et qui rend cette ville inoubliable. Mais je suis content de repartir de Macao de la même façon que je serai toujours content d’y revenir pour contempler cette « ville endormie » selon l’expression de Kessel. Car même si ceux qui restent y vivre vous diront que Macao a bien changé ces dernières décennies, du point de vue du changement dynamique et incessant de la Chine continentale, Macao semble toujours faire une pause dans l’histoire de la nation qu’elle a rejoint depuis bientôt 25 ans. Pour apprécier Macao il faut ainsi surtout ne rien attendre de bien nouveau mais se réjouir simplement du maintien indéfini des choses, comme le bon café de ce vieil homme ou comme les ruines de Saint-Paul faisant subsister de façon imposante un passé qui se fait toujours présent.

 

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03/08/2023
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