Le monde de Shawei

JIANG RONG, Le dernier loup

Après être allé voir " Le dernier loup" de Jean-Jacques Annaud à sa sortie en Chine, j'ai décidé de lire le roman dont le film est l'adaptation. Le livre permet d'approfondir le choc culturel entre les Mongols et les Hans par la relation initiatique entre le jeune étudiant chinois Chen Zhen et le vieux chasseur mongol Bilig. 

 

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Le dialogue suivant entre les 2 personnages oppose les nomades et les sédentaires et nous fait comprendre l'humilité des premiers concernant le rapport à la nature jusqu'à éprouver de la pure compassion pour les herbes contre les gazelles dont la fragilité est bien trompeuse aux yeux du chasseur mongol. Chaque être vivant a sa place et son rôle dans la nature et il n'y a bien que l'être humain pour s'émouvoir de la prétendue cruauté des loups vis-à-vis des gazelles. 

 

"Le ciel et la terre n'ont pas d'affection particulière" (天地不仁), dit le chapitre 5 du Dao De Jing, la vision nomade du vieux Bilig résonne ainsi comme celle d'un vieux taoïste.

 

Chen Zen s'approcha lentement de la gazelle. Il se pencha sur cet animal faible et inoffensif : ses grands yeux et sa beauté le transpercèrent. Il lui caressa la tête ; elle lui adressa un regard effaré et suppliant. Pourquoi refuser de protéger un animal si tendre et si pacifique ? Tout d'un coup, les contes qu'il avait entendus dans son enfance lui revinrent à l'esprit : il se rappelait Mémé, le gros loup gris ou encore Monsieur Dongguo et le loup traître, autant de récits hostiles aux loups qu'il aurait abjurés quelques heures plus tôt. Mais là, devant le spectacle de cette bête si fragile, miraculeusement sauvée du massacre et tellement attachée à la vie qu'elle portait en elle, son esprit bascula. Comment avait-il pu prendre position pour les loups assoiffés de sang ? Il s'emporta :
- Ces gazelles font pitié ! Les loups sont horribles de tuer des êtres aussi innocents. Il mériteraient d'être dépecés de mille coups de couteau !
Le visage du vieux chasseur se renfrogna. Chen Zhen aurait voulu ravaler ses paroles, conscient qu'il venait de commettre une grave erreur, mais il était trop tard. Bilig était profondément offensé. C'était un sacrilège envers le totem du peuple de la steppe. Le vieux Mongol lui lança un regard étincelant de colère et tonitrua, la barbiche encore plus frémissante que la gazelle à ses pieds :
- Les herbes et la steppe représentent une vie infiniment plus précieuse que beaucoup d'autres ! Même la vie des loups et des hommes est secondaire ! Les herbivores sont bien plus détestables que les carnassiers ! Tu éprouves de la pitié pour la gazelle ? Et les herbes, alors ? Les gazelles ont quatre pattes, elles courent plus vite que les loups. Quand elles ont soif, elles se désaltèrent au bord de l'eau ; quand elles ont froid, elles se réchauffent sur la pente ensoleillée des collines. Et les herbes ? Elles représentent une grande vie, et pourant ce sont les plus déshéritées et les plus misérables de toutes les créatures de l'univers : leurs racines sont courtes, le sol est mince. Elles sont incapables de bouger. On les foule du pied, on les mange, on les assassine, on les noie dans l'urine. Ce sont les herbes qui doivent inspirer le plus de pitié, car en les broutant insatiablement, les gazelles tuent cette grande vie. Et quand toutes les grandes vies seront détruites, les plus petites disparaîtront à leur tour ! Les gazelles sont un grand fléau pour nous, bien plus terrible que les loups.

JIANG RONG, Le dernier loup



24/05/2015
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