Le monde de Shawei

Confinement en France après 20 ans de Chine

A la suite d'une réunion du comité permanent de l'Assemblée nationale populaire, le gouvernement chinois a annoncé le 29 avril que le parlement tiendra sa session annuelle le 22 mai prochain. Le fait que ce grand rendez-vous politique prévu traditionnellement début mars ait été annulé en raison de l'épidémie a été un grand chamboulement aussi bien pour le gouvernement que pour le peuple. Ou en tout cas c'était un signe que quelque chose ne tournait plus rond entre Ciel (Tian) et Terre (Di). La confirmation de la tenue de cet événement est donc un signe de retour à un ordre à la fois terrestre et céleste. Il subsiste en effet  des connexions éternelles entre l'Empire du Milieu et la République Populaire de Chine conférant à cette réunion parlementaire au Palais de l'Assemblée du Peuple de Pékin une dimension d'ancien rituel impérial.

Lorsque je vivais dans la capitale chinoise dans les années 2001-2002 puis dans les années 2005-2007, j'aimais beaucoup profiter de ces espaces historiques et déconnectés de la vie moderne que sont les différents temples de Pékin. Je me souviens du rituel observé fin janvier 2006 lors du nouvel an chinois au plus grand temple de la Terre de la Chine construit en 1530. Les guides français sur Pékin ne lui consacrent en général que très peu de lignes, beaucoup moins en tout cas que pour le temple du Ciel. De celui-ci, il en est pourtant le complément nécessaire et non moins important. En effet, dans l’ancienne cosmogonie chinoise, comme il n’y a pas de Yang sans Yin, de soleil sans lune, de Ciel sans Terre, il n’y a donc pas de temple du Ciel sans temple de la Terre. J'assistai ainsi à une reconstitution du rituel sacrificiel de l’empereur en l’honneur de la divinité de la Terre telle qu’elle s’est déroulée pendant des siècles sous les dynasties Ming et Qing. Le site principal du temple de la Terre est la cour de l’autel sacrificiel. Celle-ci est de forme carré et fait face au sud. En effet, le temple de la Terre est structuré en conformité avec l’ancienne conception selon laquelle le Ciel est rond et bleu, la Terre carré et jaune, le sud représente le Ciel et le nord la Terre, le sud représente le positif et le nord le négatif, le dragon est assimilé au Ciel et le phénix à la Terre. C’est d’ailleurs pourquoi il n’y a aucune représentation de dragons au temple de la Terre, seulement des représentations de phénix.

Les empereurs des dynasties Ming et Qing pratiquaient ainsi des sacrifices en faisant leurs offrandes à la divinité de la Terre chaque année à l’équinoxe d’été. Les sacrifices ont commencé en Chine dans la nuit des temps et nous ont laissé une histoire écrite de plus de 3000 ans. Sous la dynastie des Zhou (1045 av J.-C. - 256 av J.-C.), un système rituel de sacrifice au Ciel et à la Terre existaient déjà, connu sous le nom de "rites des Zhou", le Zhou Li, et basé sur la science de la divination du Livre des Mutations, le Yi Jing, originellement appelé Zhou Yi, le Livre des Zhou.

Reprenant ce système, les empereurs des dynasties Ming et Qing venaient tôt le matin à chaque solstice d’été pour faire des offrandes à la divinité impériale  de la Terre, aux divinités des 5 montagnes sacrées, aux 5 collines divines, aux 4 mers et aux 4 rivières ainsi qu’aux tablettes des divinités et des ancêtres. Ainsi, quand l’Empereur venait au temple de la Terre, une grande garde d’honneur constituée de plus de 2000 personnes était mobilisée pour la parade, ce qui se faisait aussi pour le temple du Ciel. Trois jours avant la cérémonie du sacrifice, l’empereur, les princes et les officiers qui y prendront part, devaient mener une vie de privation. Selon les règles, pendant trois jours ils ne devaient pas s’occuper d’affaires criminelles, ne devaient participer à aucun banquet, ne boire aucun alcool, ne manger aucune viande, ne faire d’offrande à aucune divinité, ne se rendre sur aucune tombe, ne rendre visite à aucun malade ou mort, n’écouter aucune musique et n’avoir aucune relation sexuelle. Beaucoup de préparations devaient être faites avant le début du sacrifice dont les principales étaient : faire tenir prêts 290 cuisiniers et serveurs, nettoyer l’intérieur et l’extérieur de l’autel ainsi que la cour intérieure, tuer le veau, le cochon et le mouton en guise d’offrandes, préparer la table des encens, les ustensiles de sacrifice et les instruments de musique… La cérémonie était quelque peu compliquée et comprenait au total 9 formes. A chaque forme, l’empereur devait se mettre à genoux 3 fois et se prosterner 9 fois devant la tablette divine de la divinité de la Terre. Ainsi cela signifie que l’empereur devait se mettre à genoux et se prosterner pendant environ 2 heures. Mais c’était souvent trop pour l’empereur et en général il envoyait un de ses princes ou un de ses fils pour le remplacer.

Confucius disait qu' "en toutes choses, la préparation assure le succès comme l'imprévoyance entraîne l'échec". On comprend pourquoi même de nos jours les préparatifs de la session annuelle du parlement peuvent ralentir la marche du pays mais comme en 2020 rien ne se fait de façon ordonnée c'est plutôt une accélération que la préparation du 22 mai va enclencher.

Cette divinité de la Terre représente ainsi le féminin que les temps modernes du communisme considèrent plutôt comme l'autre moitié du Ciel selon l'expression de Mao. Concernant ma moitié, en 2006 une consultation de Yi Jing qui n'eut jamais lieu, m'aurait peut-être révélé que 09 ans après, le 06 juin 2015, je convolerai en secondes noces en mettant "Pâques avant les Rameaux" dans la province natale de Confucius à Qingzhou, tout cela semblant justement très peu confucianiste dans le sens d'un bon ordre des choses. Est-ce la conscience de vouloir remettre un peu d'ordre dans le Ciel et la Terre de mon existence qui fit que lorsque l'agence organisant les mariages me proposa de choisir entre une cérémonie occidentale, une cérémonie moitié occidentale moitié chinoise, ou bien une cérémonie chinoise, j'optai sans hésitation pour cette dernière ? Je n'eus pas le temps d'y réfléchir longtemps à l'avance car le choix se fit la veille des noces. Là encore Confucius aurait bien donné une leçon de préparation au Français romantique. Mais l'impréparation était plutôt de mon côté et d'ordre émotionnel car l'agence de son côté n'avait aucun problème à organiser en un temps réduit un ancien rituel de mariage de la dynastie Qing. 

Je n'avais donc d'autre choix que de me laisser guider. La répétition moins d'une heure avant le début de la cérémonie alors que tous les invités commençaient à arriver à l'auberge de la "prédestinée verte" - une sorte de guinguette chinoise de campagne au bord du "fleuve de la plénitude", transforma le coup de chaleur que je subissais déjà sous une température ce jour-là de 40 degrés en malaise émotionnel total. Telle une pluie opportune, mon amie Yan Yan, en bonne brigande des marais des monts Liang, m'évita l'échec de l'imprévoyance évoqué par Confucius. Yan Yan est la fille et disciple du grand maître de la boxe de la fleur de prunier (Mei Hua Quan) Yan Zijie que j'ai toujours appelé papi Yan tellement il s'est comporté comme un grand-père avec moi lors de mes premières années en Chine à Jinan ainsi que "shimu" c'est-à-dire la "maman-maître" qui elle aussi a été une vraie grand-mère pour moi. Yan Yan transmet avec son mari Junmin ce trésor de la culture chinoise qu'est le Meihua Quan en France depuis 1999 c'est-à-dire depuis que par un croisement mystérieux je suis arrivé en Chine.

Au bord de l'évanouissement et à la vue de Yan Yan, je fus saisi d'un réflexe martial me donnant soudainement le "Qi" c'est-à-dire le souffle vital pour proposer à ma grande soeur de pratique d'exécuter les postures et les mouvements de base dans les huit directions en symétrie avec son partenaire caractéristiques de la boxe de la fleur de prunier. Cette assistance à personne en danger d'émoi nuptial toute taoïste prodiguée à la dernière minute dans le jardin d'à côté me permit de remettre de l'ordre cosmique et tellurique dans mon cerveau limbique. J'étais préparé au sens taoïste du terme.

J'étais préparé à l'arrivée dans la salle remplie de ses 300 invités de ma future femme voilée de rouge ne pouvant mettre un pied devant l'autre sans que je ne sois à ses côtés.

J'étais préparé à parcourir sur le passage surélevé menant à la scène le chemin initiatique pour enjamber les deux pommes sur la selle de cheval, symbole de paix car pomme et paix  sont des homonymes en chinois (Ping).

J'étais préparé à dévoiler adroitement le visage de Xin Xin avec un crochet devant notre assemblée en me disant que c'était quand même une prouesse non pas de manier ce crochet mais de respecter une tradition de dévoilement féminin en public.

J'étais préparé à me mettre à genoux devant mes parents pour manifester mon sentiment de piété filiale à la grande satisfaction surtout de mon père si traditionaliste.

J'étais préparé à me prosterner vers le sud symbole d'avenir et vers ma femme dans un silence intense et complice (de la pure communication non verbale, qui enchanterait le Mime Bizot, qui tranche tant avec le questionnement verbal des mariages occidentaux).

J'étais préparé à boire je ne sais quel élixir magique dans une moitié de la gourde d'harmonie relié par un fil rouge avant de rassembler amoureusement les deux parties.

Enfin, nous étions préparés à accueillir notre enfant qui a bien sûr tout suivi avec attention dans le ventre de sa maman habillée de la robe traditionnelle que l'on nomme "Qipao" (la preuve notre future progéniture a choisi de naître un 25 novembre le même jour que Yan Yan) sans savoir alors si le fruit de notre amour naîtrait sous le Ciel masculin ou la Terre féminine.

En fait, cette remise en ordre dans mon existence entre Ciel et Terre m'avait fait mettre de l'eau dans mon vin c'est-à-dire du confucianisme dans mon taoïsme.

Jour 43 : les deux Philippe B. ou une double histoire de silence à Macao.

Jour 45 : Enigme angevine.