Le monde de Shawei

Réflexion sur les JO de Pékin

Je mets ici en ligne un texte que j'avais écrit pour mon ami Michel Paye à partir du sujet suivant qu'il avait donné à ses étudiants et auquel il m'avait demandé de répondre.

 

La Chine dans sa volonté de réussir, aux yeux du monde, les JO qu'elle organisait, a satisfait quels objectifs et à quel prix intérieur  ?

 

Dans cette question se trouve un présupposé que je voudrais m’attacher à démonter dans une brève analyse qui ne se veut en aucun cas être celle d’un spécialiste de la Chine mais seulement celle d’un témoin direct, pendant presqu’une décennie, d’un pays dont la complexité ne cesse de remettre en cause justement ce qu’on peut en penser en Occident de façon souvent erronée.

 

La Chine aurait donc payé un prix intérieur en organisant des Jeux Olympiques destinés à être vus par le monde.

 

Que les Chinois aient été soucieux de montrer lors des JO l’image la plus positive de leur pays dans le monde cela ne fait aucun doute. Cela constitue en soi un objectif essentiel de ces JO pour un peuple dont la culture est particulièrement basée sur la notion de face. Garder, sauver, entretenir la face – c’est-à-dire l’image que l’on cherche à donner à autrui de soi-même – en avoir ou en gagner, sont pour les Chinois autant d’actes souvent bien plus importants que ceux qui s’appliquent à l’argent et même à la vie. Tel Chinois recevra un invité en dépensant à l’insu de ce dernier, la plus grande partie de son salaire, tel Chinois trouvera tous les stratagèmes possibles pour ne pas vous faire entrer dans sa modeste demeure afin de ne pas montrer sa pauvreté, tel Chinois saura cacher son jugement désapprobateur sur votre comportement ou vos paroles en cherchant, par un sourire affiché, à vous mettre malgré tout à l’aise, …etc, les exemples sont multiples de ce fait culturel chinois de vouloir préserver sa propre face ainsi que celle d’autrui afin de faire régner une certaine harmonie entre les êtres.

 

En Chine le négatif ne se montre pas et ne se dit pas. J’oserais dire : le négatif se montre et se dit de façon positive. L’athètle Liu Xiang n’a pas trompé la Chine entière en abandonnant sur les starting blocks la course vers la médaille d’or, il a fait preuve au contraire du plus grand courage en acceptant de se montrer faible et souffrant devant ses admirateurs. Le passage de la flamme olympique a été catastrophique pour l’image de la Chine dans certaines villes européennes, il a été d’autant plus célébré à l’intérieur du pays, l’enthousiasme chinois compensant à l’excès la critique occidentale jugée elle-même excessive. Les tensions sociales intercommunautaires au Tibet tournent en émeutes à la veille des JO, c’est une Tibétaine entourée de Chinois Han qui brandira la flamme sacrée au sommet de l’Everest.

 

C’est pourquoi là où l’Occident voit dans les JO de Pékin une démonstration de puissance nationaliste, la Chine y voit une sublimation de ses propres malheurs, particulièrement nombreux au cours de l’année 2008 ponctuée de catastrophes comme le terrible tremblement de terre du Sichuan. Là où l’Occident voit dans le développement chinois un capitalisme sauvage déséquilibrant le monde, la Chine y voit une revanche juste de l’histoire où la révolution a permis de retrouver la liberté qui avait été baffouée par les empires occidentaux au temps des concessions étrangères. Là où l’Occident voit en Mao un des plus grands dictateurs du vingtième siècle, la Chine le considère comme le plus grand héros du siècle dernier ayant réussi à libérer le peuple chinois du joug étranger. Là où l’Occident voit dans la société chinoise une atteinte permanente aux droits de l’homme, la Chine voit une progression régulière des droits des hommes et des femmes de sa société, par rapport au passé.   

 

Finalement, une image très simple pourrait résumer tout le problème : là où les Occidentaux regardent la moitié vide du verre, les Chinois portent leur attention sur la moitié pleine. Mais c’est toujours le même verre, à moitié vide pour les uns et à moitié rempli pour les autres.


Si donc l’on affirme que les JO ont fait payé un prix intérieur à la Chine, c’est méconnaître la psychologie chinoise. Car pour le peuple chinois, tous les aspect négatifs des JO : inflation, développement de la capitale au détriment du reste du pays, mesures de sécurité contraignantes, exploitation des ouvriers venant des campagnes pour construire les infrastructures olympiques, … etc, sont perçus comme l’immense sacrifice d’un pays tourné de façon résolument optimiste vers un avenir toujours plus radieux. Certes la Chine part de loin, les progrès sont donc rapides, et tout laisse à penser qu’elle ira d’autant plus loin dans la transformation positive de ses problèmes ou de son problème majeur à savoir la gestion d’une surpopulation. Un milliard trois cent millions d’habitants cela paraît ingérable ; faites-en une force positive et collective dont vous entretenez la face en organisant des JO presque parfaits, vous obtenez un peuple soudé et confiant prêt à oublier ses nombreuses difficultés et ses divisions internes. Les JO auront eu cet objectif : redonner une fierté à un pays qui a connu les pires humiliations durant les deux siècles derniers.

 

 

 

Passage de la flamme olympique à Jinan


 

 

Alors oui le désir des Chinois de montrer avec éclat leur développement rapide et puissant peut paraître excessif et même inquiétant car cela donne un effet de miroir négatif sur l’état de crise du reste du monde. Mais cessons de ne regarder que la partie sombre de la réalité. Cessons aussi de penser que la Chine a toujours tort : si elle contrôles les naissances, c’est de l’inhumanité, si elle répartit sa population vers les régions dépeuplées de l’ouest, c’est de la colonisation, si elle reste concentrée démographiquement sur la côte est, c’est une pollution pour l’environnement. Que doit-t-elle faire alors ? Les Chinois ont au moins le mérite de chercher des solutions à leurs problèmes et de très peu s’occuper des problèmes des autres.

 

Les JO de Pékin n’ont été finalement qu’une étape dans le long chemin qu’il reste à accomplir pour les Chinois avant de devenir une société modèle. Mais c’est peut-être là que se trouve la principale différence avec l’Occident : la Chine ne cherche pas à être un modèle pour le reste du monde. Elle cherche seulement à résoudre ses problèmes.

 

Avant de penser que la Chine devrait être comme ceci ou comme cela, regardons-la surtout comme elle est, avec ses problèmes mais aussi avec ses solutions. Et ne leur proposons pas des solutions qui correspondent à nos problèmes.

 

A chacun ses problèmes et ses solutions…

 

Que dire, en conclusion, de ces JO ? Ils ont été très… chinois ! Je veux dire : ils n’ont pas été plus universels ou “olympiques” que la soi-disante démocratie que l’Occcident souhaiterait imposer au reste du monde. Ils ont apporté une grande joie et une grande confiance au peuple chinois – minorités incluses- et en ces temps de morosité mondiale, ce n’est déjà pas si mal… Si l’on ne parvient pas à partager la joie des Chinois – ce qui est difficile en vivant en Chine – réjouissons nous au moins pour eux…                     

 

Xavier Garnier

 

Jinan, le 17 novembre 2008

 

 

Le stade du nid d'oiseau pendant les JO



24/08/2010
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