Le monde de Shawei

Souvenirs d'un voyage en Tunisie

"le petit français du coin"

 

Mon premier voyage en Tunisie à l'âge de 17 ans me laisse un souvenir profond et indélibile. Avec un recul de plus de 15 ans, je peux dire que mon premier séjour en dehors de l'Europe a structuré mon esprit sur bien des aspects et  a influencé de façon essentielle la vie que je mène aujourd'hui.

 

Je me souviens ainsi très bien qu'à mon retour en France, après une partie de l'été passé en Tunisie, le jeune adolescent que j'étais était en quelque sorte devenu quelqu'un d'autre et s'était soudainement ouvert au monde. Le temps de quelques semaines, j'étais devenu un jeune homme révolté qui était sorti de son cocon familial. Un an plus tard, la volonté de quitter le foyer parental en allant étudier la philosophie à Nantes fut une conséquence directe de ce séjour en terre arabe.

 

Le fait en particulier de vivre au sein d'une famille tunisienne a été l'aspect le plus marquant de mon voyage. Je découvris alors qu'un voyage authentique signifiait avant toute chose la rencontre avec un peuple bien plus que la découverte de paysages ou de monuments exotiques.

 

La vie quotidienne partagée avec les Tunisiens fut non seulement une expérience collective nouvelle pour moi mais surtout une prise de conscience "tiers-mondiste" de la réalité d'un monde non occidental qui contrastait tant avec la France et les autres pays que j'avais déjà eu l'occasion de découvrir plus jeune : l'Allemagne, l'Angleterre et le Portugal.

 

Mon expérience fut d'autant plus singulière que je découvris une Tunisie traditionnelle et plutôt pauvre, celle du sud, dans une ville de Redeyef aux antipodes d'une ville pour touristes comme il en existe beaucoup en Tunisie. 

 

Je me rappelle très vivement ces montagnes désertiques séparant la ville minière de Redeyef de la frontière de l'Algérie. J'y fis une petite excursion avec mon ami d'enfance Choukri qui me raconta alors notamment les quelques batailles qui y eurent lieu lors de l'indépendance de son pays : ce fut alors la première réelle prise de conscience pour moi de l'histoire coloniale de mon propre pays... Choukri me parla dans ces mêmes montagnes du caractère autoritaire du régime politique tunisien : autre prise de conscience. Nous parlâmes aussi de l'Islam. Histoire, politique, religion, cette discussion avec Choukri me décentrait totalement de mon identité culturelle dont j'avais alors à peine conscience.

 

Mais beaucoup plus peut-être qu'une révélation intellectuelle, c'est la découverte de la chaleur humaine des gens que je rencontrais qui me marqua pour toujours. Jamais je n'avais été accueilli quelque part avec autant d'hospitalité. J'étais devenu tout d'un coup "le petit français du coin" qui attirait l'attention de tout le monde. J'avais été accueilli de la façon la plus chaleureuse par la mère de Choukri, Regaya. Les soeurs de Choukri étaient constamment à mon service me donnant la sensation à la fois agréable et gênante d'être comme un petit prince... La plus petite soeur, Sarah, ne cessait de vouloir jouer avec moi. Les jeunes frères de Choukri accompagnaient chacun de mes pas dans les rues de Redeyef. Le grand-père de Choukri semblait me traiter comme un petit-fils. Un vieillard me montra comment attraper par la queue les scorpions dont j'avais une peur viscérale. Un voisin de la famille de Choukri m'invita à partager un repas chez lui en m'initiant à toutes les formules religieuses qui ponctuaient le déroulement d'un diner. La famille de Choukri devenait soudainement pour moi, par l'intermédiaire de ma tante, une famille de coeur. Je me souviens ainsi avoir été très surpris par l'effusion sentimentale qui nous gagna lors de nos aurevoirs.

 

Cette première immersion authentique en Tunisie, dans un pays éloigné de la culture occidentale, devait m'amener à y retourner deux ans plus tard. Le désir de métisser mon esprit avec une culture étrangère s'est forgé avec la Tunisie. Lors de mon deuxième voyage, j'étais encore loin d'imaginer que ma vie me conduirait plusieurs années après à adopter une seconde patrie radicalement différente de ma culture d'origine : la Chine.

 

Finalement, la Tunisie a été dans ma quête vers la différence une étape essentielle dans le décentrage complet qu'a violemment provoqué par la suite l'expérience de la Chine. La Tunisie a été en ce sens un voyage initiatique, donnant un axe central à mon existence : celui de me décentrer, me déséquilibrer, me désorienter dans l'altérité culturelle pour mieux redécouvrir ce que je suis : ce "petit français du coin" de Redeyef...

 

Xavier, à Pékin, le 18 mars 2007

 

Souk de Tunis

 

Souk tunisien

 



18/03/2007
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