Le monde de Shawei

Fragments et fils jour 38 : Bon Ramadan !

Confinement en France après 20 ans de Chine

 

En ce 23 avril le monde musulman se prépare à débuter le Ramadan dans des circonstances exceptionnelles de confinement. C'est en quelque sorte un confinement spirituel dans un confinement physique. C'est une expérience inédite pour les Musulmans car la dimension sociale du Ramadan est normalement très importante que ce soit dans l'entraide à la mosquée, la rupture du jeûne ou les prières collectives du soir.

 

Il y a par contre une autre dimension essentielle à l'Islam se trouvant en phase avec la pandémie c'est celle de la santé et de la propreté comme en témoigne la tradition orale du prophète Mohammed avec ces hadiths cités dans un article américain (cela mérite d'être précisé...)

 

« Si vous entendez parler d’une flambée de peste dans un pays, n’y entrez pas; mais si la peste éclate dans un endroit pendant que vous y êtes, ne quittez pas cet endroit. »

 

« La propreté fait partie de la foi. »

 

« Lavez-vous les mains après votre réveil ; vous ne savez pas où vos mains se sont déplacées pendant votre sommeil. »

 

« Les bienfaits de la nourriture résident dans le lavage des mains avant et après avoir mangé. »

 

C'est grâce à ma tante Jeannine que j'ai été à 17 ans en contact avec la culture arabo-musulmane lorsque je me rendis dans le sud tunisien avec elle pendant l'été 1991 dans la ville de Redeyef. J'avais écrit un petit texte en 2007 sur cette expérience dont voici un extrait :

 

Je me rappelle très vivement ces montagnes désertiques séparant la ville minière de Redeyef de la frontière de l'Algérie. J'y fis une petite excursion avec mon ami d'enfance Choukri qui me raconta alors notamment les quelques batailles qui y eurent lieu lors de l'indépendance de son pays : ce fut alors la première réelle prise de conscience pour moi de l'histoire coloniale de mon propre pays... Choukri me parla dans ces mêmes montagnes du caractère autoritaire du régime politique tunisien : autre prise de conscience. Nous parlâmes aussi de l'Islam. Histoire, politique, religion, cette discussion avec Choukri me décentrait totalement de mon identité culturelle dont j'avais alors à peine conscience.

 

C'est lors de ces longues discussions avec Choukri que je me fis la promesse intérieure de vivre un jour l'expérience du Ramadan qui me fascinait à l'époque par le fait de mettre tout le monde à égalité, riches et pauvres, devant la faim. Lors de mes années étudiantes, je rencontrai le Franco-tunisien Najah grâce à d'autres longues et profondes discussions avec Olivier Chouteau au centre-ville angevin. Il y avait dans leur échange une sorte de dialogue éternel entre un Chrétien et un Musulman, mais plus étonnant à mes yeux de jeune étudiant en philosophie et lecteur des "Aperçus sur l'ésotérisme islamique et le Taoïsme" de René Guénon, un dialogue singulier entre un Taoïste et un Musulman. A leur écoute, je pus ainsi saisir la profonde sagesse divine de l'Islam. Cela avivait d'autant plus mon désir de vivre le mois sacré.

 

Les conditions pour réaliser ma première expérience du Ramadan furent réunies en Chine à Jinan où j'arrivai en septembre 1999. Un départ à l'étranger donne toujours une sorte de nouvelle peau avec laquelle on se sent libre d'expérimenter quelque chose de nouveau sans le regard des proches qui parfois nous confine dans un aspect réduit de notre personnalité.

 

Je n'étais certes pas dans un pays musulman mais ma première communauté en arrivant en Chine fut celle des jeunes étudiants étrangers de l'Université du Shandong où j'étais lecteur de français, principalement des étudiants provenant d'Afrique francophone mais aussi d'Asie centrale. C'est ainsi que je rencontrai différentes personnalités d'une Oumma internationale : Omar le Djiboutien qui se trouva comme un poisson dans l'eau en Chine, Sidi le Mauritanien qui nous parlait strictement de l'Islam, Azeez le Sri-Lankais qui avait toujours le sourire, Ousmane le Malien qui misait toujours sur le pardon d'Allah le Miséricordieux ainsi que d'autres amis dont les prénoms m'échappent aujourd'hui, l'Afghan qui pleura en 2001 l'assassinat de son commandant Massoud (qui l'avait envoyé étudier en Chine), le Palestinien qui se sentait si libre en Chine, l'Ousbek qui vantait la prière pendant le Ramadan et j'en oublie d'autres...

 

Je réalisai alors quelque chose que je ne soupçonnais pas, l'importance de la religion musulmane en Chine. Avec 20 millions de Musulmans, 1 à 2% de la population chinoise est musulmane. J'aime le nom que porte l'Islam en Chine : la religion de la pureté et de la sincérité (Qing Zhen). L'Islam fut introduit officiellement en Chine en 651 lorsque le troisième calife Othman envoya des émissaires auprès de l'empereur de la dynastie des Tang. Mais l'Islam pénétra en Chine du temps même du prophète Mohammed qui envoya 4 de ses compagnons entre les années 618 et 626 et qui affirma : " Aussi loin que la Chine puisse être, allez chercher la connaissance jusqu'en Chine."

 

Les Chinois échangèrent avec les Musulmans bien avant les Occidentaux. Comme l'affirme l'historien Jacques Gernet dans sa magistrale somme " Le monde chinois " :

 

"Pendant toute la période qui s'étend du 7ième siècle au 12ième siècle, les deux grandes civilisations de l'Eurasie furent celles de l'Islam et de la Chine. (...) Chine et Islam subiront ensemble et au même moment la terrible épreuve de la conquête mongole : c'est en 1258 que les armées du khan Hûlâgû (1218-1265) s'emparent de Bagdad, en 1276 que les troupes de Bayan (1236-1294) entrent à Hangzhou, capitale des Song du Sud."

 

Les traces historiques de l'Islam sont ainsi nombreuses dans l'Empire du Milieu et parmi mes découvertes culturelles en Chine, les visites de certains lieux musulmans m'ont beaucoup marqué comme par exemple le quartier musulman de Xi'an et sa mosquée datant du 7ième siècle combinant architecture chinoise et arabe avec son jardin merveilleux et les murs de ses salles de prière gravés par toutes les sourates du Coran.

 

L'Islam en Chine a aussi de belles spécificités comme ces mosquées entièrement réservées aux femmes en concordance avec les dernières paroles du prophète Mohammed disant qu'il fallait être gentil avec les femmes.

 

Rares sont les quartiers en Chine où on ne peut pas trouver de restaurant musulman dans lesquels on peut savourer différentes spécialités proches d'une cuisine moyen-orientale comme ces soupes de mouton ou ces pâtes fraîches confectionnées devant vous.

 

La communauté musulmane de Chine est en fait constituée de 10 groupes ethniques : les Ouïghours, les Kasaks, les Tatares, les Kirgizes, les Tajiks, les Ouzbeks, les Dongxiangs, les Salars, les Bonans et les Huis. C'est une Chine donc de diversité physiologique, bien souvent lorsque je me trouve dans un quartier où il y a peu de chances de rencontrer un étranger, on me prend pour un Ouïghour... Les Huis représentent le plus grand groupe ethnique musulman, la moitié de tous les Musulmans de Chine. C'est sous la dynastie Ming que l'on a rassemblé sous le nom de Huis ceux qui pratiquaient l'Islam mais ne pouvaient pas être rattachés aux autres 9 groupes ethniques et pouvant avoir des origines arabes ou perses.

 

La plus grande province musulmane de Chine est celle de la province autonome ouïghoure du Xinjiang signifiant "Nouvelles frontières", en fait des frontières pas si nouvelles puisque la région prit ce nom vers 1760 lors de sa conquête par les Mandchous de la dynastie Qing. Au 20ième siécle, il y eu différentes revendications d'indépendance dont une après 1949 soutenue par les nationalistes qui avaient perdu la guerre civile contre les communistes, mais qui n'aboutit jamais car elle n'était pas souhaitée par la majorité des Musulmans de la région. Depuis 2009, de nombreux troubles existent au Xinjiang dans le contexte de la lutte contre le terrorisme islamiste. Curieusement, c'est seulement depuis le froid diplomatique entre les Etats-Unis et la Chine que le Xinjiang est désormais sous les projecteurs des médias occidentaux. 

 

Pour ma part, je ne suis jamais allé dans la province du Xinjiang et j'ai donc en général beaucoup de mal à parler des régions ou des pays où je ne suis pas allé, fidèle au proverbe chinois disant que "Mieux vaut voir une fois qu'entendre parler dix mille fois."

 

Et puis en période de Ramadan, tous les Musulmans vous diront qu'il faut rester positif.

 

Je souhaite ainsi à tous mes amis musulmans de par le monde un excellent mois sacré du Ramadan !

 

mosquée de Qingzhou

 
la mosquée de Qingzhou, ville natale de Xin Xin, dans le Shandong, avec ma tante Jeannine, juin 2015
 
 
 


23/04/2020
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